En visite dans le temple McLaren
L’usine high-tech où a été conçue la MP4-29 F1 que pilotera Stoffel Vandoorne. Plongée au sein d'une usine prestigieuse.
- Publié le 10-05-2014 à 16h22
L’usine high-tech où a été conçue la MP4-29 F1 que pilotera Stoffel Vandoorne.
Situé à une quarantaine de minutes en voiture au sud-ouest de l’aéroport londonien de Gatwick, le petit village very british de Woking est mondialement connu pour être la base de l’écurie McLaren.
C’est toutefois bien à l’écart du centre, à l’abri des regards, que la nouvelle "navette spatiale" McLaren a atterri en 2003 après quatre années de travaux. Baptisée à l’origine Paragon, cette construction ultra-moderne semi-circulaire de 500.000 mètres carrés et de 13.000 vitres est impressionnante.
Pour rentrer au McLaren Technology Center, il faut bien sûr faire partie des 2.000 employés ou y être convié.
Pour nous, il a fallu attendre qu’un de nos espoirs soit promu réserviste au sein de l’écurie de F1 pour recevoir notre ticket. Merci Stoffel Vandoorne. "Pas de jeans, ni baskets, ni appareil photo" , stipulait l’e-mail d’invitation. Un invité s’est même fait retirer sa montre pour éviter de risquer de rayer le mobilier…
Après un rapide contrôle d’identité au portique d’entrée situé à 500m du MTC, on a l’impression d’entrer à la NASA. Une route traverse d’immenses jardins taillés comme un "green" de golf, puis on découvre le "temple", telle une immense "soucoupe volante" posée face à un lac. "L’eau en permanence à 26 degrés est utilisée pour le système de conditionnement d’air et la soufflerie," nous explique l’hôtesse venue nous accueillir dans un parking bondé. Avec en première ligne une trentaine de McLaren MP4-12C de route (c’est ici aussi qu’elles sont fabriquées "à la main") et les semi-remorques F1 déchargeant les monoplaces et le matériel revenus de Chine. Bienvenue dans un autre monde : celui de McLaren World , un édifice dont la valeur est estimée à 400 millions d’euros. À vide bien sûr !
Face à l’entrée VIP, un immense hall retrace, avec une quinzaine de monoplaces, l’histoire de McLaren. Depuis la petite Austin 29 de 1958 rachetée 110 dollars par Bruce McLaren et transformée pour atteindre les 87 miles par heure, aux McLaren F1 des champions Alain Prost, Ayrton Senna, Mika Häkkinen ou Lewis Hamilton. En passant aussi par la M23 imposée par Emerson Fittipaldi à Nivelles en 1974 (mon premier GP sur place !), la Can-Am au volant de laquelle Bruce McLaren s’est tué, la F1 GTR ayant remporté les 24 Heures du Mans ou la McLaren F1 P1 à moteur électrique.
Partout derrière cette magnifique collection, des baies vitrées permettent de voir mécaniciens, ingénieurs, designers à l’œuvre dans un calme quasi religieux. On se croirait presque dans une église. Ou plutôt un hôpital. Tout est propre et rangé. Un soin presque chirurgical dans les tons grisés chers à l’écurie.
Au seul étage d’une construction ne pouvant dans son permis de bâtir dépasser la hauteur de la plus grande ferme de la région (16m), le bureau du boss Ron Dennis. On n’y aura pas accès, mais rien que le lobby suffirait à loger une famille de quatre personnes.
Trois ascenseurs ronds et vitrés pour ce besoin de lumière ou de transparence mènent aux passerelles au bout desquelles on retrouve différents bureaux et des salons très "cosy" pour faire patienter les invités.
Mais c’est au rez-de-chaussée que tourne principalement l’activité course. Le département composite où l’on fabrique les différentes pièces et évolutions des monoplaces est ouvert 24 heures sur 24. Avec des tournantes, bien sûr.
Le fonctionnement de la soufflerie intégrée au sous-sol est quant à lui limité par la règlementation F1 à 50 heures par mois. "Seize années de données y sont intégrées et chaque mise en marche équivaut à allumer 100.000 lampes d’éclairage public," confie notre guide. Mieux vaut veiller à ne pas le faire tourner pour rien…
Soudain, au travers d’une pièce, après avoir rapidement visité une salle remplie de puissants ordinateurs, on découvre deux MP4-29 mises à nu. "Ce sont les voitures de course qui viennent de revenir du GP de Chine. Lorsqu’on a le temps, quand il ne s’agit pas de deux GP à une semaine d’intervalle, les monoplaces repassent par ici et sont entièrement démontées et remontées."
Pas loin de là, cela fourmille dans le département boîte de vitesses : "Pour gagner du temps, mais aussi un meilleur contrôle de la qualité, on essaie de fabriquer un maximum de pièces nous-mêmes."
Le bruit d’un moteur turbo résonne tout à coup faisant vibrer les murs et le cœur des passionnés. Autour de lui, une quinzaine de Japonais s’extasient. On approche du département Heritage Cars , où quotidiennement on restaure et entretient d’anciennes F1 pour participer à des commémorations comme le Festival de Goodwood .
"C’est un véritable événement aujourd’hui," nous lance notre guide. "Cela fait sept mois que l’on refait l’un des moteurs V6 Honda avec lequel Ayrton Senna a été sacré. Son ancien chef mécanicien est là et a participé à cette remise en route."
Il est midi et plusieurs employés font la queue devant le distributeur de billets (ceux-là on ne les fabrique pas ici apparemment). Un peu plus loin, on découvre l’imposante collection des 600 Trophées glanés depuis 1968 (l’écurie a été créée en 1966) par McLaren.
"Il s’agit de la plus grande collection au monde. Ce sont tous les originaux sauf un, celui de Champion du Monde 2007 décroché par Lewis que l’on a dû rendre fin d’année à la FIA. Il s’agit donc d’une réplique," poursuit notre interlocutrice. Manque aussi cette coupe jetée dans la foule par Alain Prost à Monza. La première, celle décrochée à Francorchamps par Bruce McLaren sur sa M7A, figure par contre en bonne place. Avec la mention "Trophée Leopold III."
Pas très loin, on a une vue plongeante sur le restaurant de 700 places. Chez "René"…
On ne nous montrera pas la piscine ni le fitness center dans lequel Stoffel soigne régulièrement sa condition physique. Ni le coûteux simulateur dans lequel notre compatriote a déjà passé des journées entières. Même avec une heure de moins, l’horloge tourne et il est déjà temps de passer à table dans le salon "Prost" où nous pourrons discuter tranquillement autour d’un bon saumon (heureusement sans crème à la menthe) avec Stoffel Vandoorne, qui se sent déjà chez lui ici, et le Directeur de la Communication de McLaren, Matt Bishop, l’homme qui a fait rentrer pour la première fois notre compatriote ici.
Puis, après quelques clichés souvenirs, il sera déjà temps de prendre congé en remerciant Silvia Frangipane, la PR la plus appréciée du paddock, d’avoir pris soin de nous. "Notre but c’est l’excellence. On essaie toujours de faire les choses un peu mieux que les autres," rappelle-t-elle.
Pour le McLaren Technology Center, la mission est accomplie. Pour les F1 2014, il reste encore du travail. Mais, c’est sûr, l’écurie de Woking a les moyens de bien faire…
"Ron est un grand supporter de Stoffel"
Vandoorne a impressionné McLaren, ce qui a poussé la prestigieuse écurie à l’enrôler. Confession de Matt Bishop, le responsable de la communication qui a introduit Vandoorne chez McLaren.
Matt, quand avez-vous rencontré Stoffel pour la première fois ?
"Notre ancien pilote Alex Wurz, responsable de l’Academy FIA, m’a demandé s’il pouvait me présenter un jeune prometteur lors du GP d’Allemagne au Nürburgring en 2011. On s’est rencontrés et je lui ai demandé de m’envoyer ses rapports de courses. Ils étaient écrits dans un bon anglais, ce qui est inhabituel pour des jeunes de cet âge. Je les trouvais très analytiques. On sentait que ce jeune est intelligent. Cette première saison chez KTR n’a pas été très brillante, mais la suivante chez Kaufmann, il a commencé à gagner et j’ai de suite forwardé ses débriefings à notre ingénieur Sam Michael. On l’a invité à nous rencontrer une première fois à Woking, où il est venu avec le responsable du RACB National Team Geoffroy Theunis. Puis, après deux superbes victoires à Moscou en FR3.5 l’an dernier, on a renforcé ce mariage et on l’a fait signer un contrat de management avec Richard Godard, le manager de Paul di Resta et Jenson Button. Il a intégré le Junior Team McLaren au même titre que Kevin Magnussen."
Et la suite maintenant ?
"Il y a d’abord la GP2 où il a brillé dès sa première course, ce qui ne nous a pas vraiment surpris. Il en gagnera d’autres, croyez-moi. Il peut clairement viser le titre. Enparallèle de cela, il passe pas mal de temps dans notre simulateur F1 et on va lui donner l’occasion de se préparer en pilotant la F1 lors de journées de tests privés."
Mais, à priori, il n’y aura pas de place chez McLaren en 2015 et Honda a confirmé qu’il n’équiperait que votre écurie l’an prochain ?
"C’est exact. Nous sommes extrêmement contents de Jenson et de Kevin jusqu’ici. Button est un garçon charismatique, intelligent, doué. Je ne pense pas qu’il pense à raccrocher son casque en 2015. Et on voudra le garder. Quant à Kevin, il a fait des étincelles pour sa première course. Et s’il ne brille plus aujourd’hui et qu’il a commis quelques petites erreurs de jeunesse, c’est plutôt de notre faute. On doit progresser avec notre voiture pour lui donner du meilleur matériel. Maintenant, on ne sait pas ce qu’il peut arriver. On a des liens avec d’autres écuries. Tout est possible."
Le retour de Ron Dennis aux commandes du team ne change rien pour notre compatriote ?
"Non. Ron est un grand supporter de Stoffel. Il est venu jusqu’au pied du podium à Barhein pour l’applaudir lors de sa première victoire en GP2. Il voit en lui un talent très prometteur. Vandoorne n’est plus aujourd’hui simplement le protégé de quelques personnes au sein de McLaren. Il fait partie de la famille."
"Laisser mes trophées à Woking ? Ce serait bon signe"
Entretien avec notre guide, le 3e pilote F1 McLaren Stoffel Vandoorne.
Stoffel, vous nous avez servi de guide dans votre nouvelle "maison". Laquelle de toutes ces McLaren F1 préférez-vous ?
"La MP4/4 qu’ont pilotée Ayrton Senna et Alain Prost. Elle a gagné quinze courses sur seize, ce qui est assez exceptionnel. Sinon, depuis que je suis gamin, je regarde les GP à la télé et j’étais plutôt fan des Finlandais, Mika Häkkinen puis plus tard Kimi Räikkönen."
On a vu l’impressionnante collection de plus de 600 Trophées de Ron Dennis. Êtes-vous prêt à laisser vos futures coupes à Woking ?
"C’est obligatoire, cela figure dans mon contrat. Mais ce serait plutôt bon signe si je devais me contenter des répliques. Cela voudrait dire que j’ai gagné en F1 !"
Vous avez déjà dû rendre votre première coupe de GP2 ?
"Non, cela ne concerne que la F1."
Avoir gagné votre première course en GP2 vous a enlevé pas mal de pression, non ?
"Cela fait du bien effectivement. On mise sur vous. Cela coûte beaucoup d’argent et il faut délivrer ensuite. Apparemment, je suis le seul à m’être imposé dès ma première course en FR3.5 et en GP2. Une chouette statistique."
Maintenant quel est le prochain objectif ?
"Confirmer. Gagner d’autres courses puis le championnat afin de mériter un baquet en F1. Être sacré en GP2 ne me donnera pas d’office droit à mon ticket pour les GP, mais j’aurai plus de chances d’y arriver si je suis champion."
Votre vie a déjà changé ?
"Oui. Je partage mon temps entre Woking, où je suis environ deux jours par semaine, les ateliers de mon équipe de GP2 ART, la maison familiale de Rumbeke où j’ai toujours ma chambre d’adolescent et les circuits. J’ai un planning très chargé déjà rempli pour toute l’année. Je suis assez content de me laisser faire."
Votre GP2 fait plus de bruit que la F1 que vous testerez pour la première fois mercredi prochain à Barcelone, cela ne vous fait-il pas bizarre ?
"Non, je ne suis pas choqué. C’est juste différent. Mais cela ne change pas grand-chose. Ce qui m’importe surtout, c’est que la F1 est plus rapide."
Quel est le secret pour un jeune pour se faire repérer comme vous par une grande équipe ?
"Il faut avoir de la chance. Je n’avais pas de sous, mais j’ai remporté le volant RACB grâce auquel j’ai pu disputer la saison de F4 Academy au terme de laquelle j’ai été couronné. Puis il y a eu l’Eurocup Formula Renault, où j’ai réussi aussi à m’imposer lors de ma deuxième saison. Pour moi, c’est le championnat le plus dur à gagner. C’est plus difficile que la F3 voire même la FR3.5 ou la GP2 car le niveau est très relevé. Cette année-là, j’ai battu Daniil Kvyat qui est aujourd’hui en F1. C’est grâce à ce titre que j’ai été repéré et que j’ai pu rentrer chez McLaren."
Quel est le pilote, excepté vous bien sûr, qui mériterait le plus d’accéder à la F1 ?
"Robin Frijns, un vrai talent qui a remporté pas mal de championnats dans les formules inférieures."